Aller au-delà de ce qui marche
Le système d’aide humanitaire fait-il ce qu’il faut ? Et le fait-il bien ? Les données peuvent-elles contribuer à rendre l’aide humanitaire plus efficace ? À première vue, ces questions semblent superflues. On pourrait supposer que des données plus complètes auraient pour effet d’améliorer la fourniture de l’aide humanitaire. Peut-être, mais rien n’est moins sûr : un plus grand nombre de données ne se traduit pas nécessairement par une action humanitaire plus efficace ni par une meilleure qualité des services.
En 2014, le budget de l’aide humanitaires’ élevait à 24,5 millions de dollars. Selon le Rapport de l’aide humanitaire internationale (2015), les besoins non satisfaits
étaient de l’ordre de 38 %. Avec les crises actuelles liées aux réfugiés, les ressources des budgets de l’aide publique au développement (APD) ont été allouées à l’aide humanitaire. Toutefois, davantage de fonds sont nécessaires et il est peu probable que le déficit soit comblé au cours de la prochaine décennie. Il n’est donc pas sur prenant que les organismes donateurs et fournisseurs d’aide s’interrogent sur l’efficacité et l’impact de leur assistance. Actuellement, 93 % des personnes touchées par une extrême pauvreté vivent dans des pays qui font face à des crises humanitaires. De toute évidence, chaque dollar de l’aide doit être utilisé pour atténuer leurs souffrances.
Alors que les dirigeants du monde se réuniront lors du Sommet mondial sur l’action humanitaire, qui aura lieu à Istanbul en mai 2016, ce sera l’occasion de se demander si l’aide humanitaire est distribuée de manière efficace. À vrai dire, le secteur humanitaire utilise déjà de nombreux moyens pour savoir si ce but est atteint. À cet égard, il a parcouru un long chemin depuis l’époque où les intentions et les actions menées pour fournir une assistance étaient jugées suffisantes. Aujourd’hui, la plupart des programmes d’aide humanitaire font, dans la mesure du possible, des évaluations rapides, recueillent régulièrement les données des programmes, réalisent des sondages d’opinion et effectuent un suivi et des évaluations en temps réel qui contribuent à la compréhension et à la mise en œuvre des activités.
La révolution actuelle en matière de données permet de recueillir celles-ci plus facilement et d’améliorer les capacités d’illustration, de visualisation et d’analyse. Recueillies plus rapidement, plus efficacement et plus intelligemment, elles peuvent être utiles à de nombreux aspects de l’aide humanitaire. Le tableau ci-dessous présente les différentes façons dont elles peuvent être utilisées pour mieux informer le système humanitaire. Il ne fait aucun doute que des données de meilleure qualité sont nécessaires pour savoir si l’aide humanitaire est distribuée à temps, de manière appropriée et efficace, dans le respect de l’éthique humanitaire.
Sources de donnée applicables à l’aide humanitaire avec les avantages et les inconvénients (Puri et Dhody, 2016).
No. |
Type |
Permet d’informer sur |
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1. |
Images satellites |
Les changements sur la condition physique de la zone géographique, l’estimation visuelle et l’illustration de l’ampleur de la destruction, la densité de construction, l’utilisation des terres. |
Les images à haute résolution Landsat doivent être interprétées et vérifiées au sol. |
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2. |
Photos aériennes, autres images de télédétection |
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3. |
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Comprennent les cartes topographiques et du sol. Nécessitent généralement d’autres méthodes de construction comme la télédétection, mais aussi le recueil de données du même type que les recensements (p. ex., pour les droits à la propriété et les limites des propriétés). |
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4. |
Enquêtes (sociales, thématiques, sondages d’opinion auprès des ménages ou des particuliers) |
Les moyens de subsistance; les modèles comportementaux; l’éligibilité aux programmes; les perceptions; les indicateurs socio-économiques; l’accès physique/économique/social; l’utilisation; les revenus, les biens et les impacts sur le bien-être, y compris les changements dans ces niveaux selon que les données sont des séries chronologiques, des données de panel, des données transversales ou des données transversales répétées. |
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5. |
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L’éligibilité; les caractéristiques socio-économiques moyennes; la gestion des données administratives, opérationnelles et du processus de distribution; les lois et les modifications de la législation. |
Il s’agit le plus souvent de plages de données pouvant être utilisées pour les sous- populations. Illustrent les principaux changements et attributs. Peuvent permettre de cibler les sous-sections de la population. |
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6. |
Entretiens individuels, structurés ou semi-structurés |
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Sont généralement nécessaires avant, pendant et après le recueil des données les plus quantitatives afin d’ancrer et de recueillir celles-ci correctement et de les interpréter facilement. Sont également nécessaires pour la conception et l’échantillonnage du questionnaire. |
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7. |
Études de cas |
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Les études de cas sont particulièrement importantes pour comprendre les processus et les comportements et fournir un aperçu plus détaillé des informations que nous donnent les données quantitatives. |
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8. |
Données GPS |
Peuvent aider à déterminer l’emplacement des villes, des marchés, des hôpitaux et des écoles ainsi que les limites des propriétés et des zones. |
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9. |
Systèmes de gestion des informations |
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Malgré les progrès en matière de recueil de données, nous avons besoin de données complexes pour orienter l’action. Trois types de données utilisées à des fins spécifiques sont décrits ci-dessous.
Données pour une action rapide. Quels sont les besoins de la population touchée par la crise ? Quelles sont les personnes les plus vulnérables ? Quelles sont les capacités au niveau local ? Où l’assistance devrait-elle être orientée lors d’une crise humanitaire ? Comment améliorer l’ampleur et la portée des interventions ? Pendant la flambée d’Ebola en Afrique de l’Ouest et de la grippe aviaire en Asie, une forte impulsion a été donnée pour accroître la rapidité et la qualité du recueil des données afin d’améliorer les interventions en fournissant des données de référence après la catastrophe et en identifiant les besoins en matière de vulnérabilité, de capacités et de ressources. Lors de catastrophes naturelles et de conflits violents, la libre circulation des données est essentielle pour améliorer la coordination entre les organisations et leurs interventions. Les organisations ont des modes opératoires normalisés différents et il est clair que la qualité des données recueillies par la plupart d’entre elles varie beaucoup.
Données pour mesurer l’impact. De fait, nous devons commencer à mesurer et à comprendre si l’aide humanitaire a un impact important, et dans quelle mesure. Par exemple, le Programme alimentaire mondial pose la question importante de savoir dans quelle mesure la prévention et le traitement de la malnutrition modérée et aiguë contribuent à une amélioration mesurable des niveaux de nutrition et de l’état de santé général. Ces évaluations, qui concernent les changements apportés par le programme (appelées aussi évaluations des résultats), sont de plus en plus réalisées. Toutefois, on constate un manque important de données probantes dans ce domaine : selon une évaluation globale, réalisée en 2014 par l’Initiative internationale sur l’évaluation des impacts (3ie), les programmes d’aide humanitaire avaient fait l’objet de moins de 50 évaluations des résultats alors que plus de 100 milliards de dollars avaient été investis dans ce domaine en à peine dix ans (Puri et al., 2014).
Données pour améliorer la distribution. Pour veiller à ce que l’aide humanitaire soit apportée aux personnes les plus vulnérables, il est important de comprendre les réalités sur le terrain ainsi que les défis jusqu’à la fin des opérations. La mise en place de modèles de distribution efficaces nécessite une analyse périodique des données et des réactions des bénéficiaires. Par exemple, dans les zones pauvres en ressources, on compte sur les agents de santé communautaires pour fournir la plus grande partie des soins de santé primaires. Les contraintes des capacités empêchent souvent ces agents, qui sont sous-payés et peu formés, de fournir efficacement un ensemble de services complet. Le transfert des tâches et l’intégration d’experts dans la prise en charge des patients en ce qui concerne la fourniture des soins sont des moyens innovants qui ont permis aux patients infectés par le virus du VIH d’adhérer au traitement antirétroviral en Afrique du Sud et dans d’autres pays.
Les consultations qui ont été réalisées avant le Sommet mondial sur l’action humanitaire ont seulement abordé de manière périphérique la question des résultats. Le rapport de synthèse du processus de consultation fait mention d’un aspect important à ce sujet – la nécessité de fournir de meilleures données – mais de nombreuses questions restent sans réponses. Comment les programmes devraient-ils être exécutés ? Quelles sont les mesures incitatives qui encourageront le personnel de santé à fournir des soins de meilleure qualité ? Comment les organisations et le personnel humanitaires peuvent-ils être encouragés à adopter des innovations qui ont fait leur preuve ? Les incitations en espèces sont-elles toujours efficaces ou, à titre d’alternative, la reconnaissance sociale peut-elle jouer un rôle efficace ? Dans quelle mesure la communauté devrait-elle être encouragée à participer à l’élaboration et au ciblage des programmes ? Quel niveau de formation et de mesures incitatives optimal faut-il assurer pour améliorer l’efficacité sur le terrain ? Existe-t-il d’autres moyens de s’assurer que les programmes seront exécutés jusqu’à la fin des opérations, étant donné les préoccupations des travailleurs humanitaires concernant la sécurité ? Comment s’assurer que les personnes sont traitées avec humanité, impartialité et efficacité ?
À l’évidence, l’amélioration du recueil des données ne suffira pas à elle seule. La communauté humanitaire doit aborder avec efficacité la question des données afin de faire ce qu’il faut et de le faire bien. Il leur faudra déterminer le type de données dont elles ont besoin et leur but plutôt que de recueillir des données pour simplement recueillir des données.
Références
Programme mondial d’aide humanitaire (2015). Rapport de l’aide humanitaire internationale 2015. Bristol, R.-U, Initiatives de développement. Disponible sur le site http://www.globalhumanitarianassistance.org/wp-content/uploads/2015/06/GHA-Report-2015_Resume-du-rapport.pdf.
Puri, Jyotsna et Bharat Dhody (2016). Missing the Forests for the Trees? Assessing the use of Impact Evaluations in Forestry Programmes. Dans Sustainable Development and Disaster Risk Reduction, Juha I. Uitto et Rajib Shaw dir., Tokyo, New York, Springer.
Puri, Jyotsna et al (2014). What methods may be used in impact evaluations of humanitarian assistance? 3ie Document de travail, n° 22. New Delhi, International Initiative for Impact Evaluation (3ie). Disponible sur le site http://www.3ieimpact.org/media/filer_public/2014/12/08/wp_22_humanitarian_methods_working_paper-top.pdf.
Secrétariat du Sommet mondial sur l’action humanitaire (2015), Rétablir l’humanité : synthèse du processus de consultation en vue du Sommet mondial sur l’action humanitaire. New York, Nations Unies. Disponible sur le site https://consultations2.worldhumanitariansummit.org/bitcache/faf3c96f352da39721778315dd0e1c6c74ab4faf?vid=566869&disposition=inline&op=view.